Que signifie le djihad apocalyptique de Daesh?

Que signifie le djihad apocalyptique de Daesh?

Pour beaucoup d’experts, les membres du groupe terroriste autoproclamé «Etat islamique» considèrent qu’ils mènent une guerre de la fin des temps contre l’Occident. Dans cette vision des choses, les attentats du 13 novembre n’en sont qu’une bataille. Quel est l’arrière-fond théologique du groupe et pourquoi la pensée de ce groupe est-elle aussi efficace pour recruter? Cette vision apocalyptique tire-t-elle ses racines dans l’islam? Comment l’Occident peut y répondre?

Photo: destruction d’un temple de l’époque romane dans l’ancienne cité syrienne de Palmyre. Cette image a été diffusée par Daesh sur les réseaux sociaux. ©RNS/Reuters

et Kimberly Winston, RNS/Protestinter

Qu’est-ce qu’une croyance apocalyptique?

C’est la croyance que le monde a une fin ou qu’il doit être renouvelé lors d’une série de catastrophes ou de batailles confrontant les forces du Bien et du Mal. Une vision apocalyptique existe dans le judaïsme, le christianisme et l’islam. Le communisme et le nazisme sont parfois cités comme des exemples séculiers.

Pourquoi est-ce que cela implique de la violence?

Les croyants apocalyptiques veulent désespérément nettoyer ce qu’ils perçoivent comme un monde corrompu et pécheur. Alors qu’ils ne sont pas tous violents, plus ils croient en l’imminence de l’apocalypse, plus ils risquent de s’adonner à des actions destructives, explique Richard Landes, ancien président du centre d’études millénaristes de l’Université de Boston. «La pensée apocalyptique est incroyablement perturbante», explique-t-il. Le titre du livre de Robert Jay Lifton sur le culte japonais Aum Shinrikyo, qui espérait provoquer l’Armageddon avec une attaque de gaz sarin en 1995 dans le métro de Tokyo, était: «détruire le monde pour le sauver.»

Quelles visions apocalyptiques existent dans l’islam

Dans le hadith –recueil de paroles du prophète rapportées par des témoins–, il est fait mention d’un décompte final et d’une bataille finale entre les forces d’al-Dajjal, le grand séducteur, et le Mahdi, un messie musulman. Dans le Coran même, ces figures messianiques ne sont pas citées, mais il souligne l’opposition finale entre le juste et le méchant

Quelle est la vision traditionnelle de l’apocalypse dans l’islam?

L’imam Sayyid M. Syeed de la société islamique d’Amérique du Nord explique que Mahomet prévient de la perspective d’événements catastrophiques. Non que ceux-ci doivent obligatoirement se produire, mais «pour nous encourager à réformer la société afin d’empêcher que ces catastrophes se produisent».

Mais certains djihadistes extrémistes croient qu’ils sont au milieu d’une lutte contre les chrétiens et les juifs. Richard Landes explique que cette vision des choses a gagné du terrain, d’abord auprès des musulmans chiites après la Révolution islamique en Iran en 1979. Elle s’est ensuite répandue parmi les sunnites lors de l’intifada palestinienne et en 2003 lors de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis.

Comment est que Daesh fait usage de l’apocalypse?

D’abord, son nom. Le groupe terroriste se fait appeler «Etat islamique», en référence au califat, un état musulman dirigé par une espèce de roi appelé calife. C’est aussi le titre que s’est attribué Abu Bakr al-Baghdadi, le chef du groupe. Il y a aussi un magazine appelé «Dabbiq», qui est le nom d’une ville du nord de la Syrie où un hadith controversé prophétise la bataille de la fin des temps.

William McCants, érudit de la Brookings Institution et auteur de «L’apocalypse de l’Etat islamique: l’histoire, la stratégie et la vision du jour dernier de l’Etat islamique» estime que la fixation du groupe terroriste sur la fin des temps le distingue d’autres groupes, al-Qaïda incluse. C’est l’une des clés de son relatif succès. «Ils attisent la ferveur messianique plutôt que de la supprimer», écrit-il. «Ils veulent le Royaume de Dieu maintenant plutôt que plus tard. Ce n’est pas le djihad de Ben Laden»

Le pire, ajoute-t-il, c’est que d’autres groupes, voyant le succès de Daesh, se focalisent à leur tour sur la fin des temps. «Ma crainte c’est que nous soyons à la veille de jours très sombres»

Pourquoi est-ce un excellent outil de recrutement pour Daesh?

Beaucoup de jeunes qui ont l’impression que leur vie les mène dans une impasse trouvent irrésistible l’idée de restaurer l’islam à son passé glorieux. Pour William McCants, il faut aussi prendre en compte l’attrait du sexe: Daesh promet des concubines et des femmes aux jeunes hommes qui rejoignent son armée. Les luttes de pouvoir en Syrie, Egypte et dans d’autres endroits du Moyen-Orient, peuvent aussi être interprétées comme la toile de fond du scénario prophétisé par l’islam pour la fin des temps.

La vision apocalyptique de Daesh est «un élément très vendeur pour les combattants étrangers, qui veulent voyager dans les pays ou les batailles finales de l’apocalypse auront lieu», explique William McCants. «La guerre civile qui a actuellement lieu dans ces pays crédibilise les prophéties.»

Comment l’Ouest devrait répondre?

Traditionnellement, l’Ouest fait abstraction des idéologies apocalyptiques, y compris sur son propre sol. Vous souvenez-vous de David Koresh et de sa branche des davidiens? Certains chercheurs disent que si les responsables de l’application de la loi avaient pris au sérieux leur idéologie apocalyptique, la confrontation de 1993 à Waco, dans le Texas, pourrait ne pas avoir fini par la mort de 76 hommes, femmes et enfants.

Ainsi pour un nombre croissant de chercheurs, prendre en compte la vision apocalyptique de Daesh est crucial pour combattre l’organisation. Des interprétations alternatives de l’idéologie islamique doivent être présentées, tant aux musulmans qu’aux non-musulmans. En mars passé, le journaliste Graeme Wood a écrit dans «The Atlantic»: «Les musulmans peuvent rejeter l’Etat islamique: quasiment tous le font. Mais prétendre que ce n’est pas vraiment un groupe religieux, millénariste, avec une théologie qui doit être comprise pour être combattue, a déjà conduit les Etats-Unis à sous-estimer le groupe et à mettre en place des stratégies stupides pour les contrer.»