La sécularisation de la société américaine, un casse-tête pour les candidats à la présidentielle

La sécularisation de la société américaine, un casse-tête pour les candidats à la présidentielle

Si la population américaine est de moins en moins chrétienne, pourquoi la campagne présidentielle des républicains ressemble-t-elle tant au meeting d’une Eglise du réveil?

Photo: Le candidat républicain Ted Cruze CC(by-sa) Michael Vadon

, «USA Today»/RNS/Protestinter

Le mois dernier, Jeb Bush a été le dernier potentiel candidat républicain à faire le pèlerinage de la Liberty University, la plus grande école protestante évangélique au monde. C’est là qu’en mars dernier, le sénateur Ted Cruz s’était déclaré candidat à la candidature.

Et cette semaine, une douzaine de candidats républicains déclarés ou potentiels devaient prendre parole devant la Coalition foi et liberté, qui tente de mobiliser le vote conservateur évangélique. Timothy Head, directeur de cette coalition déclare qu’il n’a même pas eu à les inviter à la conférence «Road to majoritiy» (En route vers la majorité) de Washington. «Les candidats nous ont contactés: “Puis-je venir?”»

Pourtant, le mois dernier, le Pew Research center –un think tank qui étudie divers sujets de société aux Etats-Unis– a publié un sondage qui met en évidence une baisse d’un point de la proportion des Américains qui se disent chrétiens, à 70.6%. Dans le même temps, ceux qui ne déclarent aucune appartenance religieuse ont augmenté.

La confiance des Américains pour les religions organisées a, pour sa part, chuté de manière impressionnante au cours des quatre dernières décennies, pour atteindre, cette année, un minima record à 42% selon un sondage Gallup, publié mi-juin. Seulement la moitié des protestants et des catholiques romains disent avoir confiance dans l’Eglise ou dans la religion organisée. C’est un développement remarquable pour cette société que le président Harry Truman et beaucoup d’autres (y compris des non-croyants) décrivaient comme «une nation chrétienne»

Les implications politiques de ce changement de l’identité religieuse américaine sont criantes. Les «nones» (aucune), comme sont surnommés ces sans religion en référence aux cases à cocher dans les sondages, sont beaucoup plus susceptibles de voter démocrates –en 2012, 70% des électeurs de Barack Obama étaient sans religion, contre 26% pour Mitt Romney. Les «nones» ont également généralement des inclinations plus libérales sur des sujets comme le mariage entre personnes de même sexe, l’avortement ou la légalisation de la marijuana.

Inversement, lors de récentes élections générales, trois quarts des évangéliques ont voté républicain. C’est peut-être pour cela que l’on se sent toujours comme en 2006, lorsque l’ont est sur le chemin de l’élection au sein des républicains.

A y regarder de plus près, on constate deux choses concernant les «nones»: jusqu’ici, ils ont eu peu d’influence sur la politique américaine, mais dans les temps qui viennent, ils devraient la changer profondément. La première remarque est vraie parce que si les «nones» sont de plus en plus nombreux, ils votent peu. Ils sont aujourd’hui 23% de la population globale des Etats-Unis, mais en 2008 et 2012, ils ne représentaient que 12% des électeurs.

Pour Timothy Head, de la coalition foi et liberté, le sondage de Pew Reseearch Center a été «mal interprété», par ce que beaucoup de personnes qui n’ont jamais été particulièrement religieuses se sentent désormais libres de le reconnaître face aux sondeurs. Les statistiques d’appartenance religieuse antérieures étaient gonflées artificiellement par ces indécis qui ont finalement sauté le pas.» Beaucoup de ces «nones», n’étaient de toute façon pas engagés, estime-t-il. «Leur perte ne m’inquiète pas politiquement.» Et que penser des «nones», les plus jeunes, qui n’ont eux jamais fait partie de la catégorie des indécis? Pour Timothey Head «c’est la société.. De plus en plus transitoire, et rebutée par toute idée d’adhésion.»

Les évangéliques, par contre, sont de grands votants et le large déclin des affiliations chrétiennes, se concentre sur les communautés protestantes non évangéliques (luthériens, épiscopaliens, méthodistes, etc.) et sur les catholiques. Ainsi la part des évangéliques dans la population n’a diminué que d’un point.

Un dilemme grandissant pour les républicains

Pour les candidats qui espèrent atteindre la Maison-Blanche, l’influence évangélique cause un dilemme qui ne fera que de se corser. Les «nones», malgré leur faible propension à voter, sont relativement jeunes et leur nombre augmente chaque jour. Par ailleurs, ils risquent de voter davantage lorsqu’ils seront plus âgés. Mais ils ont tendance à adhérer moins aux positions conservatrices sur les sujets sociaux, ils sont moins à l’aise avec les convertis ou avec le fait de mélanger religion et politique partisane.

Rob Boston, porte-parole du mouvement «Americans United for the Separation of Church and State» (Union américaine pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat) déclare que certains «nones» commencent à être gênés par les références traditionnelles à Dieu auxquelles s’adonnent les candidats. –«Mon livre favori? La Bible!»

Un candidat républicain doit donc réaliser un changement d’angle délicat entre les primaires (désignation du candidat au sein du parti) où il faut séduire la droite religieuse et l’élection générale où il faut s’adresser à un public plus large, plus sécularisé. Bien que le changement de position soit aussi vieux que la politique, le grand écart devient de plus en plus déchirant alors que les «nones» croissent et les évangéliques décroissent lentement.

Par exemple, Jeb Bush à Liberty University: il a insisté sur l’importance de la liberté religieuse que devrait défendre le gouvernement, ce qui est une préoccupation essentielle pour la droite religieuse. Mais ce qui est aussi important ce sont les sujets qu’il a évité d’aborder, en particulier, il n’a pas évoqué le mariage gay. Mark Silk, qui donne un cours sur la religion et la politique au Trinity College à Hartford Connecticut, estime que cela pourrait permettre à Bush, s’il se retrouve dans une élection générale, d’attirer des votants en dehors des cercles conservateurs évangéliques, sans que ces derniers puissent l’accuser de les avoir flattés lors de sont discours à Liberty University. Mais une telle précaution nuit à l’appel des électeurs des primaires. Mak Silk en veut pour preuve «la tiédeur du public évangélique» au discours de Liberty University.

Un parti de «nones»

Et qu’en est-il des démocrates? Après que leur candidat, John Kerry, a perdu contre George W. Bush en 2004, il semblait que le parti avait un «problème avec Dieu». «Ils se sont dit “l’Amérique est un pays religieux, nous devons rester en contact avec cela”», analyse Mark Silk. «Le parti, Hillary Clinton et Barack Obama compris, a tenté de séduire les évangéliques modérés en 2008 pour se rendre compte que c’était une cause perdue», poursuit le chercheur.

Lors de l’élection de 2012, un quart des personnes votant pour Obama n’avaient pas d’affiliation religieuse et selon Mark Silk «le discours politique est aujourd’hui beaucoup moins religieux qu’il ne l’était il y a huit ans.» La favorite démocrate Hillary Clinton a un fondement religieux solide –méthodiste traditionnelle, lorsqu’elle appartenait au groupe de jeunes de sa paroisse de la banlieue de Chicago. Arrivée à Washington, elle a participé à des groupes de prière et emportait parfois une bible avec elle, lors de ses déplacements.

Hillary Clinton a parlé publiquement de sa foi, même si elle a déclaré une fois que «cela ne me vient pas naturellement.» Mais dans son grand discours de lancement de campagne, au début du mois, mis à part une référence au «potentiel que Dieu nous donne» et l’obligatoire «Dieu bénisse l’Amérique», aucune référence au Tout-Puissant n’a été faite. Politiquement, cela ne compte pas tant pour un démocrate. Les blancs chrétiens ne représentent que 39% de l’électorat d’Obama, contre 81% de celui de Mitt Romney.

Pour les républicains, la question est à quel point peut-on mobiliser davantage le vote évangélique déjà important. «Assez, selon Timothey Head, pour que la croissance des “nones” importe peu. Peu importe que vous pêchiez dans un océan de 100 millions ou de 85 millions de chrétiens, tout ce qu’il vous faut c’est en trouver 3 ou 4 millions de plus pour faire élire un président.»

Alors, l’Amérique est-elle une nation chrétienne? Barack Obama s’est penché sur le sujet en 2006: «Nous ne sommes plus une nation chrétienne. Du moins, nous ne sommes plus que ça. Nous sommes également une nation juive, une nation musulmane, une nation bouddhiste, une nation hindoue. Nous sommes aussi une nation de non-croyants.»

«Malgré cette ouverture vers les “nones”, pour le moment, aucun parti n’est prêt à s’assumer publiquement comme athée, agnostique ou non-affilié», souligne Molly Worthen, historienne des religions à l’Université de Caroline du Nord. Mais leur croissance influence le débat politique. Molly Worthen rappelle que si la ferveur religieuse a des hauts et des bas aux Etats-Unis, davantage de personnes vont à l’Eglise aujourd’hui qu’en 1776, les «nones» ne sont pas à la mode. Elle ajoute toutefois «Regardez l’Europe de l’Ouest», les athées et les agnostiques y ont gagné des élections nationales, parmi lesquels le président français François Hollande. «C’est vers cela que nous nous dirigeons».