Les Kosovars musulmans redécouvrent leurs racines catholiques

Les Kosovars musulmans redécouvrent leurs racines catholiques

L’Eglise catholique essaie de reconquérir du terrain au Kosovo, en s’appuyant sur l’histoire chrétienne du pays, qui remonte à la domination ottomane au 15e siècle.

Photo: Albert Jakaj devant l’église millénaire © RNS Valerie Plesch

(RNS/Protestinter)

Brod, Kosovo – Albert Jakaj, un prêtre catholique de 36 ans, a eu la surprise de découvrir une église en pierre gris clair qui semble avoir plus de 1000 ans, dans une clairière au milieu de grands pins. C’est un habitant du lieu, Avni Ademi, âgé de 35 ans, qui l’avait contacté pour obtenir son avis quant à l'origine de l'église du petit hameau de Gjonai, au sud du Kosovo. Ce dernier a la conviction en effet que l'église appartient à d’anciens catholiques romains locaux, qui étaient là avant que le village ne soit converti à l'islam.

Actuellement, l'Église orthodoxe serbe revendique la propriété du bâtiment qu’elle a fait rénover en 1993 et dont elle détient les clés. Mais les habitants de la région croient qu'il s’agit d’une ancienne église albanaise, et ils veulent la récupérer. Les vieilles églises au Kosovo comme celle de Gjonaj font mémoire des racines profondément chrétiennes de l'histoire du pays, et certains autochtones voudraient les ressusciter.

Revendication d’ancienneté

«Tous les Balkans étaient chrétiens», a déclaré le prêtre Albert Jakaj, en se référant à l'héritage de la domination de l'Empire romain de la région il y a 2000 ans. C’est sous l'Empire ottoman, qui a gouverné le Kosovo entre le début du 15e siècle et 1912, que le plus grand nombre des Kosovars albanais se sont convertis à l'Islam. Mais aujourd'hui, le prêtre ainsi que d’autres personnes se sont donné une mission dont ils disent qu’elle reflète une renaissance du catholicisme dans le pays.

Les Kosovars musulmans soutiennent également cette démarche, même si la plus grande partie de la ville de Brod est maintenant musulmane. «C’est l’histoire de notre nation», explique Avni Ademi, dont les ancêtres étaient catholiques. «Ce sont nos premiers pas vers la récupération de notre patrimoine culturel.»

Une majorité de musulmans non pratiquants et laïques

Officiellement, seulement 3% de la population du Kosovo est catholique, et 90% est musulmane. Mais selon l’évêque catholique Dode Gjergji, ces chiffres cachent les véritables affinités spirituelles des Kosovars. Seulement 10% des Kosovars sont des musulmans pratiquants, les autres sont laïques. «L'expérience islamique n’est pas quelque chose que les Albanais ont vraiment voulu, mais quelque chose qui leur a été imposé», a déclaré l’évêque qui ajoute: «la part de l'histoire chrétienne est plus forte que la part de l'histoire ottomane».

Dans les faits, le mouvement célébré par l’évêque n'a pas abouti à une recrudescence du nombre de membres de l'Église catholique. Les fonctionnaires du diocèse catholique du Kosovo à Pristina mentionnent plutôt une croissance modeste au cours de ces dernières années. En 2014, le diocèse a enregistré 30 baptêmes. Ramer à contre-courant de la laïcité est difficile, mais Dode Gjergji applaudit ceux qui ont franchi le pas. «Nous sommes très satisfaits, parce qu’en cette période de détresse et d'insécurité, il faut beaucoup de courage pour les gens de déclarer qu’ils veulent revenir à leurs racines», a-t-il dit.

Les Laramans, des catholiques qui pratiquent en cachette?

La petite, mais dynamique population catholique du Kosovo n’inclut pas les «Laramans». Ce sont les Albanais catholiques qui se sont convertis à l'islam au 18e siècle pour éviter de payer les impôts prélevés sur les non-musulmans, et sécuriser leur position. Agron Bytyqiv est un ancien combattant de l'Armée de libération du Kosovo, âgé de 41 ans, il est maintenant peintre et professeur à l'Université de Pristina. Son père était catholique et sa mère musulmane. «Quand j’étais enfant, je ne savais pas de quelle religion j’étais, mais quand je suis devenu adulte, j’ai eu le droit de décider laquelle des deux religions était la mienne», dit-il. Il a été baptisé en 1995.

La plus grande concentration de Laramans, ou cryptocatholique qui ont caché leur véritable foi se trouve dans l'est du Kosovo. Environ la moitié des ménages dans le village de Zheger sont Laramans. Aucune église ne se trouve dans le village, mais les Laramans sont connus pour allumer des bougies et prier à la maison, conformément aux traditions catholiques. Rexhep Sejdiu est Laraman, et a vécu à Zheger pendant 38 ans. Il dirige une station d'essence. «Je me sens catholique», déclare-t-il en ajoutant qu'il discute rarement de sa foi en dehors de sa famille. Il va à l'église d’Albert Jakaj la nuit en secret et vit comme un musulman le jour.

Dans le cadre de l'effort de l'Eglise catholique du Kosovo de se réaffirmer, Albert Jakaj a essayé de rassembler la communauté Laraman dans le giron du diocèse, mais en vain. «Les Laramans ont peur de se déclarer ouvertement catholiques», confie le prêtre. En effet, révéler sa foi chrétienne pourrait causer des problèmes, comme rendre impossible à leurs enfants de se marier.

Les Laramans approchés dans les rues de Zheger ont refusé d'être identifiés en tant que catholiques, en expliquant qu'ils ne pouvaient pas parler ouvertement de leur mode de vie. Jeton Thaqi, qui coordonne tous les catéchumènes au Kosovo, explique que les pressions sociales restent très fortes. «L’une des raisons est la mentalité, parce que dans une famille ou une communauté qui est musulmane depuis longtemps, si quelqu'un change de religion il n’est pas facilement accepté par les autres», a-t-il dit. «Il faut du courage pour faire le pas».