La génération «Y» ne juge pas

La génération «Y» ne juge pas

Un institut de recherche américain s’est penché sur les positions éthiques des jeunes adultes de 18 à 25 ans. Si la majorité se positionne en faveur de la contraception, la question de l’avortement suscite des controverses.

Photo: © RNS

(RNS/Protestinter)

La plupart des jeunes adultes toutes religions, races et origines ethniques confondues se déclarent en faveur de la contraception accessible à tous. Et 56% d’entre eux ont déclaré que dans certaines situations, le choix d’un avortement «était la décision la plus responsable que la femme puisse prendre», révèle une enquête du Public religion research institute (PRRI), publiée fin mars.

Parmi les personnes de la «génération du millénaire» ou génération «Y», c’est-à-dire qui sont nées approximativement entre 1980 et 2000, une sur trois ne s’identifie à aucune religion particulière. Et pour la plupart d’entre eux, «contraception et avortement relèvent de circonstances privées», a déclaré Robert Jones, le directeur général du PRRI. Cette enquête, financée par la Fondation Ford, a exploré les points de vue des adultes américains âgés de 18 à 35 ans, sur des questions telles que le comportement sexuel, l'identité de genre, l'avortement, la contraception et les agressions sexuelles sur les campus entre autres.

Une égalité d’accès à l’avortement

Les positions de la plupart des jeunes adultes en matière d’avortement et de contraception s’éloignent de celles des grandes Eglises. «Ce que l’on constate au travers des réponses, c’est que la «génération du millénaire» veut voir une égalité d'accès tant à l’avortement et à la contraception qu’aux services de santé. Ils pensent que les gens devraient avoir la liberté individuelle de prendre leurs propres décisions», a déclaré Robert Jones.

L’expérience personnelle colore aussi leurs points de vue, a fait remarquer le directeur du PRRI. L'enquête a en effet révélé que 8% des gens interrogés ont vécu eux-mêmes un avortement et 36% connaissent un ami proche ou un membre de leur famille qui y a eu recours. Près de la moitié des femmes de la génération «Y» ont déclaré avoir personnellement utilisé un contraceptif d'urgence telle que la pilule du lendemain (18%) ou connaître un proche qui avait fait de même (29%).

La contraception déclenche encore des débats houleux

Certaines méthodes de contraception sont encore critiquées par des groupes qui considèrent qu’elles sont assimilables à un avortement, comme le montre le cas Hobby Lobby (voir encadré), entendu l’été dernier par la Cour suprême. Par sa décision, la Cour a autorisé les petites entreprises à ne pas fournir de couverture d'assurance en ce qui concerne la contraception, sur la base de leurs objections religieuses. L’enquête du PRRI montre que 58% des sondés s’opposent à cette décision de la Cour suprême, et que seulement 9% d’entre eux trouvent des objections morales à la contraception.

Nuance et empathie

«La génération du millénaire semble réticente à faire des déclarations éthiques manichéennes sur des questions qu'elle considère comme complexes», a déclaré Robert Jones.«Ils tiennent compte des circonstances légales, mais ils tiennent aussi compte des circonstances morales dans lesquelles se trouvent les personnes qui vivent des situations difficiles. Il s’agit plus d’une question d’empathie que d’une question d’autonomie».

Dans la mesure où les autorités religieuses et les doctrines ont plutôt tendance à faire des déclarations radicales, le directeur de l’institut explique que «cette génération peinera à se reconnaître dans l’Eglise à laquelle elle adhère». Par exemple, lorsqu’il s’est intéressé de plus près aux catholiques, dont l'Eglise se déclare officiellement contre toutes les formes de contraception artificielle, le directeur de l’institut a constaté que seulement 11% d’entre eux considèraient que la contraception était moralement répréhensible.

L’ensemble des catholiques, hommes et femmes, est d’ailleurs en accord avec les adultes âgés de 18 et 35 ans: environ 70% considèrent en effet que la contraception artificielle est moralement acceptable, et près de 2 sur 10 affirmant que cela dépendait de la situation.

Les évangéliques en marge

La génération du millénaire – y compris 87% des femmes catholiques et 79% des femmes protestantes d’origine majoritaire blanche – est favorable à une facilitation de l'accès à la contraception pour les femmes qui n’en ont pas les moyens financiers. Mais le fait d’envisager l'accès à la contraception sous l’angle économique a révélé une scission en fonction de l’appartenance religieuse.

A une exception près, la majorité des grands groupes religieux, y compris 60% des catholiques, considèrent que l’accès à la contraception – soit la capacité des femmes à contrôler si elles ont des enfants et quand elles les font – est essentiel à leur sécurité financière. Mais seulement 38% des évangéliques d’origine majoritairement blanche trouvent cela important, alors que 62% sont en désaccord.

Les personnes de la génération (Y), appartenant à ce groupe des évangéliques d’origine majoritairement blanche, se distinguent également de leurs contemporains sur la question de l'avortement: 80% d’entre eux pensent que l'avortement devrait être illégal dans la totalité ou la plupart des cas alors que les autres groupes religieux pensent que cela devrait être légal dans tous les cas, voire la plupart.

Cependant, l'influence des évangéliques blancs sur l'opinion publique dans le futur sera sans doute atténuée par leur petit nombre, et le vieillissement de leurs membres. En effet, parmi les grandes affiliations religieuses, ils sont les plus âgés, avec 49% des membres qui ont 50 ans et plus. Selon l'enquête du PRRI, seulement 11% d’entre eux appartiennent à la génération du millénaire, ce qui les rapproche des protestants des églises historiques, à majorité blanche (10%), et des catholiques d’origine hispanique (10%).

Quelques autres résultats:

Quelque 73% des jeunes adultes déclarent que les agressions sexuelles sont assez ou très communes sur les campus universitaires et 53% que c’est également le cas sur les campus de l'école secondaire. Un quart des jeunes adultes estiment que le mariage est démodé et dépassé, contre 71% d’entre eux, qui au contraire ne sont pas d’accord. 7% des personnes qui ont répondu à l’enquête se déclarent d’eux-mêmes lesbiennes, gays, bisexuels ou transsexuels.

L'enquête a porté sur 2314 jeunes adultes américains, et a été réalisée en ligne, en anglais et en espagnol, entre le 12 et le 25 2015. La marge d'erreur globale de l'enquête est de plus ou moins 2,7%

Le cas Hobby Lobby

En juin 2014, la Cour Suprême des Etats-Unis a rendu un jugement très controversé, par 5 voix contre 4, stipulant qu'un employeur avait le droit de refuser de souscrire une assurance-santé couvrant la contraception de ses employées, et cela au nom de la liberté de religion inscrite dans le premier amendement de la Constitution. La plainte émanait d’une chaîne familiale de magasins d’articles de loisirs, Hobby Lobby, dirigés par la famille Greene, d'Oklahoma City, qui sont chrétiens évangéliques pratiquants.

Leurs magasins n'ouvrent pas le dimanche et diffusent de la musique chrétienne en continu. Fier de compter 13 000 employés dans 41 Etats, son directeur, David Greene, attribue son succès à l'œuvre de Dieu. Il ne s'oppose pas au remboursement de la pilule, mais à celui de quatre autres moyens de contraception qu'il considère comme relevant de l’avortement (deux sortes de pilules du lendemain et deux types de stérilets).

La juge Ruth Bader Ginsburg a, parmi d’autres, dénoncé cette décision, en s’appuyant sur le fait qu’avec un tel raisonnement, d’autres entreprises pourraient échapper à une législation qui ne lui plaît pas, en invoquant des «croyances religieuses profondes», ce qui ouvrirait la porte à toutes sortes de dérives possibles.