Un passé d’existants

Un passé d’existants

C’est à leur usage du passé que les protestants français doivent d’avoir surmonté les divisions. Et d’avoir évité de se fondre dans la société moderne.

Photo: Arrestation d'une femme huguenote, 1875, peinture de Vassili Polenov LDD

Revendiquer le passé huguenot malgré un patronyme alsacien... voire polonais ? Rien d’étonnant à cela selon Patrick Cabanel: «Le passé protestant français est une mémoire partageable et appropriable. Il fait l’appartenance». Historien et professeur à l’université de Toulouse, il était l’hôte du Forum de regardsprotestants, le mardi 14 avril. Au cours de son intervention, il a montré comment les protestants ont fait «usages et mésusages» de leur passé tout au long de leur histoire. Un passé qui va et qui revient.

Première période, l’écriture d’une histoire. Accusés par les «papistes» d’être sans racines, ils cherchent dans un premier temps à prouver l’apostolicité de la Réformation et à démontrer que celle-ci s’inscrit dans l’histoire de l’Eglise. Puis surtout, victimes d’une tentative de négationnisme – les catholiques refusent de les appeler «protestants» et utilisent le sobriquet de «prétendus» leur niant ainsi toute identité – ils réagissent en écrivant des «livres de noms» pour ne pas être oubliés des générations futures. «Ainsi au 16e siècle, outre la Bible d’Olivetan, l’Institution chrétienne de Calvin et les Psaumes de Marot. Il faut pour être un bon protestant avoir lu le Livre des martyrs de Jean Crespin». Un ouvrage qui raconte les massacres, les exécutions… et qui dresse la liste des martyrs huguenots.

L’Edit de tolérance

Après les persécutions, la tolérance. En janvier 1788, le parlement enregistre l’Edit de tolérance, signé trois mois plus tôt par Louis XVI, qui permet aux protestants et aux juifs de bénéficier de l’état civil. Même si ce texte n’est pas parfait - l’accès aux charges publiques et à l’enseignement reste interdit aux non-catholiques – il est favorablement accueilli par les protestants. Il faudra néanmoins attendre la Révolution pour qu’ils obtiennent la liberté de conscience avec la Déclaration des droits de l’homme, puis la liberté du culte avec la constitution du 3 septembre 1791. «N’étant plus persécutés et étant pleinement réintégrés, les protestants deviennent alors une minorité heureuse, consciente d’aller dans le sens de l’histoire et des idées modernes, explique Patrick Cabanel. Dès lors, le passé huguenot devient inutile et connait une certaine désaffection». Il ne disparaît pas pour autant. Ainsi en 1842, le pasteur Napoléon Peyrat publie son «Histoire des pasteurs du désert: depuis la révocation de l'Édit de Nantes jusqu'à la révolution».

Troisième temps, celui des Réveils du 19e siècle. On assiste alors à une nouvelle tentation de sortir de l’usage identitaire du passé protestant. «Leurs prédicateurs auraient voulu que les protestants soient exclusivement des chrétiens, des fils du Père et non pas des fils de leurs pères huguenots», rappelle Patrick Cabanel. Il en ira de même dans les années 1930 et 1940 avec le barthisme qui «renvoie l’histoire dans les musées», puis dans les années 1960 avec la théologie de la libération. Le passé protestant ayant, semble-t-il, toujours un futur, il revient à partir des années 1980 avec les grandes célébrations de l’édit de Nantes, du 500e anniversaire de la naissance de Calvin en 2009, de celle de la Réforme en octobre prochain…

Et aujourd’hui?

«Les protestants continuent à faire usage de leur passé et lui demande deux services: maintenir leur unité et éviter la sécularisation, la dissémination dans la société», affirme Patrick Cabanel. L’histoire resterait en effet la part commune de ceux qui sont théologiquement divisés entre protestants historiques et évangéliques, entre orthodoxes et libéraux. «Elle est aussi et surtout une digue contre la sécularisation, contre ce que Jean-Paul Willaime appelle la précarité protestante», ajoute-t-il. «Le protestantisme ne se construit pas contre la modernité, il est de plain-pied dans la modernité, quelle que soit cette modernité (Lumières au 17e, laïcité au 19e, Trente glorieuses). Le risque, c’est qu’il se perdre et disparaisse par bonheur dans la société et le modernisme. L’histoire, c’est donc ce qui reste quand on a oublié la Bible, le culte, la foi... Le passé protestant est un passé d’existants».

Interrogé à la fin de la réunion à propos des «valeurs protestantes» sur lesquelles travaille actuellement le cercle de réflexion de regardsprotestants et qui devrait faire l’objet d’un ouvrage sous forme d’abécédaire, Patrick Cabanel a déclaré y réfléchir. Après quelques secondes d’hésitation, il en a toutefois cité une: «L’orgueil… mais orgueil n’est pas vanité!»