Pâques ou la résurrection d’un espoir

Pâques ou la résurrection d’un espoir

En cette période de Pâques, le théologien Simon Butticaz se penche sur la question de la résurrection. Qu’a-t-elle changé pour les premiers chrétiens? Comment comprendre ce «miracle» aujourd’hui? Rencontre avec ce professeur de théologie de l’Université de Lausanne et pasteur de formation.

Photo: La résurrection du Christ, retable d’Issenheim 1515

Quel est le sens de la résurrection dans le christianisme?

La résurrection de Jésus signifie que Dieu n’a pas toléré que la mort ravisse son fils à son amour. Elle dit le caractère inviolable du lien d’amour qu’il noue avec son fils et avec l’humanité. C’est la révélation d’un Dieu qui n’abandonne pas l’homme même dans les pires situations. Et même un homme qui aux yeux de tous a été relégué au statut d’un vulgaire esclave – car le supplice de la croix était réservé aux esclaves – ou d’un maudit de la loi. Dieu se solidarise de cet homme et ne l’abandonne pas au pouvoir du néant. Cet événement témoigne de l’autorité de Dieu sur les forces du mal et le triomphe de la vie sur la mort.

Dans le judaïsme ancien, la résurrection est un langage qui surgit dans un contexte juridique, la réhabilitation du juste mort prématurément: Dieu valide la personne, le moi, la vie de l’individu, en lui disant: «malgré les apparences, cette vie a de la valeur à mes yeux». Ainsi aussi, pour Jésus de Nazareth. C’est un langage d’espoir.

Dieu renouvelle la vie. Dans le chapitre 15 de la première lettre aux Corinthiens, Jésus est présenté comme le premier né d’une humanité nouvelle, «prémisses» d’un au-delà du monde où les pleurs et la mort n’auront plus cours. Même si au quotidien les êtres humains souffrent, le dernier mot ne revient pas aux méchants. Ils seront réhabilités dans leur droit par Dieu à la fin des temps. C’est dans ce cadre que la résurrection de Jésus va être comprise, comme l’anticipation d’une nouvelle création qui n’a rien en commun avec l’ancienne. Elle est spirituelle, incorruptible et immatérielle.

Et aujourd’hui?

Je pense qu’il faut comprendre la résurrection de façon existentielle. A l’origine du christianisme, il y a la grande résurrection, celle de Jésus, mais il y en a des petites tous les jours qui en sont des effets, des traces ou des paraboles. Chaque fois qu’un être se relève de la dépression, qu’un malade guérit, qu’un couple se réconcilie, c’est le Dieu de Pâques qui se fraie un chemin dans notre vie.

Pâques est un mystère que les premiers chrétiens ont approché avec le langage de la foi. Je pense qu’il est faux de vouloir risquer des reconstructions historiques de Pâques. Cet événement est de l’ordre de la représentation théologique. Les premiers croyants ont voulu exprimer une conviction théologique et une espérance. C’est dans le cadre de leur relation à Dieu qu’ils ont eu la conviction que ce Dieu-là ne pouvait pas laisser Jésus croupir dans le caveau où il avait été déposé.

Que signifie la mort de Jésus sur terre?

Jésus est homme jusqu’au bout. Il expérimente la condition humaine jusqu’à l’extrême de la souffrance, de la déchéance ou de l’infamie. La résurrection n’est pas une pirouette qui signifie finalement qu’il n’était pas vraiment mort. Jésus est mort et la réponse de Dieu a été de montrer que le dernier mot sur son existence ne pouvait pas être le silence de l’oubli.

Si Dieu n’avait pas exprimé ainsi sa solidarité avec cet homme crucifié, on aurait gardé la mémoire de Jésus comme un maître de sagesse, dont la parole aide peut-être à vivre, ou alors comme un faiseur de miracles ayant finalement échoué.

Quand se déroule la résurrection?

L’épisode de la résurrection, pour les premiers chrétiens, se déroule le premier jour de la semaine, le lendemain du Sabbat, soit trois jours après la mise en croix de Jésus et sa descente au tombeau. Actuellement, le dimanche de Pâques.

Tel un tremblement de terre pour les premiers chrétiens, qui loin de se résigner à la mort de leur maitre vont avoir la conviction qu’il est toujours vivant et que Dieu l’a relevé de la mort, la résurrection est la conviction fondamentale du christianisme. A partir de cette certitude, les premiers chrétiens vont relire la vie de Jésus. Dans le Nouveau Testament, plusieurs traditions interprètent de manière complémentaire cet événement, mais avec des images et des langages différents.

Mais la résurrection va aussi être le talon d’Achille du premier christianisme, car pour les personnes extérieures, cet événement ressemble à une folie, à un non-sens, il suscite les résistances et les moqueries. Pour les Grecs ainsi, croire en la résurrection d’un corps est une absurdité, seule l’âme est immortelle.

Justement, comment comprendre la résurrection de la chair?

A mon sens, il y a un malentendu quant à l’utilisation du mot «chair». On imagine des nerfs, des cellules, les os ou le sang, en un mot tout ce qui fait notre corporéité, hériter du Royaume, mais ce n’est pas ça. Pour les premiers chrétiens qui baignaient dans une anthropologie biblique, on ne peut pas imaginer une personne sans son corps: la personne est un tout indivisible, sans dichotomie de l’âme et du corps. Dire la résurrection des corps signifie préserver l’identité de la personne dans son entier et dans son unicité. Tout ce qui singularise le moi, la dimension relationnelle, l’engagement moral, l’histoire de vie, est recueilli par Dieu.


La résurrection: «un événement qui fait sauter les limites des mots»

Les éditions Cabédita ont publié un petit ouvrage début mars: «Résurrection. Une histoire de vie». L’auteur, Daniel Marguerat, y utilise l’entier de son savoir-faire de pasteur et de bibliste pour aborder la question de la résurrection, en tant qu’au-delà de la vie, au travers de la résurrection de Jésus. A partir des textes du Nouveau Testament, ce professeur honoraire de la faculté de théologie de l’Université de Lausanne s’adresse au lecteur dans un langage tant érudit qu’accessible à tous. «A mon avis, écrit-il, autour de la mort de Jésus, un voile s’est fugitivement levé. Quelque chose s’est donné à voir, qui ouvre une lucarne sur l’après de la mort. Rien de plus qu’une lucarne».

En cinq chapitres entrecoupés de lettres adressées à un interlocuteur que la question de la mort taraude, et qui ne comprend pas ce qu’est la résurrection, Daniel Marguerat tisse un argumentaire fouillé toujours en lien entre Bible et expérience de vie. Si trois langages (pédagogique, narratif, d’exaltation) au lieu d’un seul sont utilisés pour dire la résurrection, explique-t-il, c’est pour mieux dire ce qui échappe aux mots: «c’est comme si le vocabulaire avait échoué à exprimer cette irruption de l’au-delà dans le temps» qu’est la résurrection.

«Pâques ne se donne qu’au creux d’une histoire d’hommes et de femmes touchés. Avant d’être un objet de croyance, la résurrection est le lieu de la foi, le lieu où naît la foi. Identifier en soi une particule de foi, c’est ressentir l’effet de Pâques», peut-on lire au fil des pages. De l’analyse des formes de langages utilisés dans les évangiles et les épitres, jusqu’à la relecture du tombeau vide dans l’évangile de Marc, ce livre se lit d’une traite, que l’on soit croyant ou pas: «croire la résurrection, affirme l’auteur, ce n’est pas acquérir un supplément de savoir objectif sur Jésus; c’est adopter une position sur la vie, qui du coup rejaillit en parole sur ma propre existence». (ES)