Le difficile combat de femmes ultra-orthodoxes pour le parlement israélien

Le difficile combat de femmes ultra-orthodoxes pour le parlement israélien

Les femmes juives ultra-orthodoxes créent pour la première fois en Israël un parti qui se lance dans la prochaine campagne pour le parlement. Sur place, l’évènement ne bénéficie d’aucun relai dans les médias, d’aucune approbation de la part des autorités rabbiniques. Juste le bouche-à-bouche et la foi.

Photo: Michal Zernowitski, à droite est à la tête du premier parti de femmes Haredi. Elle gonfle un ballon durant une campagne pour élection à Elad, une ville ultra-orthodoxe proche de Tel-Aviv, en octobre 2013. ©Nir Elias/Reuters/RNS/Protestinter

Par Michele Chabin, Jérusalem, «USA Today»RNS/Protestinter

Que des femmes de confession haredi (voir encadré) soient actuellement en marche vers le parlement, constitue un évènement historique, mais aussi très radical pour une communauté où la politique ainsi que toute prise de décision sont traditionnellement du ressort des hommes. «Considérant que ces femmes viennent d’un monde où elles n’ont pas le droit d’exercer de fonctions publiques, le nouveau parti féministe haredi est radical et révolutionnaire», a déclaré Elana Sztokman, une féministe israélienne. «Cela crée une effervescence tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communauté.»

Des demandes légitimes, mais peu de chances de réussite

De récents sondages montrent le nouveau parti n’obtiendra probablement pas suffisamment de votes lors de l’élection du 17 mars pour gagner un siège à la Knesset, le parlement israélien. Mais ce n’est pas cela qui empêche les candidates de se présenter sur la liste du parti Bezchutan: femmes haredi pour le changement.

Elles exigent que le gouvernement et leurs rabbins accordent aux femmes ultra-orthodoxes les mêmes droits et les mêmes avantages qu’aux autres femmes israéliennes. «En théorie, une femme haredi vote ce que son mari lui dit de voter, sur la base de ce que le rabbin lui dit», a déclaré Ruth Colian, 34 ans, une haredi nouvellement entrée en politique et qui a fondé le parti en janvier. «Mais nous savons que dans l’isoloir cette décision se joue entre la femme et Dieu.»

Une campagne courageuse sur arrière-fond de menaces

Les partisans du parti reconnaissent que c’est un courageux pas en avant, dans une société où les rabbins interdisent aux membres de leurs communautés de posséder une télévision ou de surfer sur internet, et où les femmes – alors qu’elles sont en général les soutiens de famille pendant que leurs maris se concentrent sur l’apprentissage religieux – sont censées faire profil bas en public. Ruth Colian explique avoir fondé ce parti «parce qu’il n’y a personne pour nous représenter à la Knesset».

D’après les informations gouvernementales, à peu près 12% des Israéliens sont des juifs ultra-orthodoxes. Les partis politiques haredim ont traditionnellement joué un rôle important dans l’élaboration de la politique intérieure, depuis les colis d’aide sociale pour les pauvres aux exemptions militaires pour les étudiants de yeshiva, les centres d’étude de la Torah. Mais à ce jour, une seule femme haredi a déjà siégé à la Knesset, en tant que membre du parti de gauche Meretz. En 2013 une femme haredi, Racheli Ibenboim, a avoué avoir retiré sa candidature au conseil municipal de Jérusalem après avoir reçu des menaces contre elle et sa famille, de la part de la communauté.

Ruth Colian, mariée et mère de quatre enfants, a reconnu elle aussi avoir reçu des menaces: «les gens m’ont menacée, et harcelée au téléphone, ils m’ont traitée de salope pour avoir osé se présenter aux élections.» Elle aurait préféré se présenter sur une liste d’un parti haredi existant, pour l’heure entièrement masculin, mais les partis ont refusé. «Ils ont dit que les femmes devraient rester à l’intérieur, à l’arrière-plan», a-t-elle rapporté. Ruth Colian a reconnu que la critique et les menaces l’ont blessée, mais qu’elles l’ont aussi rendue plus forte. «Des milliers de femmes prient pour notre succès. Je ne peux pas les laisser tomber», a-t-elle conclut.

Le nécessaire changement des mentalités n’est pas prêt

Isaac Bezalel, porte-parole du parti haredi Shas, a déclaré: «les haredim ne sont pas encore ouverts à ce que les femmes siègent à la Knesset. Mais nous avons femmes accomplies au sein de nos comités consultatifs des femmes».

Sur la liste du parti Bezchutan se trouvent Ruth Colian et huit autres candidats — six femmes et deux hommes — qui se présentent à l’élection du mois prochain. Leur programme se concentre sur les problèmes des femmes. Ruth Colian explique que «les écoles haredi versent à leurs enseignantes des salaires plus bas que ceux dans les écoles ordinaires, parce que les femmes ultra-orthodoxes ne connaissent pas leurs droits.» Elle explique également que les femmes haredi meurent deux fois plus de cancer du sein que les femmes non-haredi, parce que beaucoup ne vont pas passer les examens de dépistage. Dans la société haredi il est considéré comme impudique de dire le mot «sein» a-t-elle ajouté. Alors que Bezchutan tend la main aux femmes ultra-orthodoxes, elle souligne encore: «nous recevons aussi le soutien de groupes de femmes laïques».

Mais le changement est en marche, en partie grâce aux réseaux sociaux

Elena Sztokman, qui a suivi l’évolution des choses sur Facebook, a révélé que de nombreux juifs haredi surfent sur Internet, en dépit des interdictions rabbiniques. «Les médias sociaux ont certainement donné un pouvoir à ce genre de mouvement politique qui n’existait pas auparavant. Vous pouvez être sûrs que Bezchutan est le principal sujet de conversation lors d’innombrables déjeuners de shabbat, même si ce n’est que dans la cuisine entre les femmes, a-t-elle déclaré, ce qui est en soi un changement énorme.»

Elena Sztokman a également noté que l’existence de cette liste «a même déjà commencé à avoir une influence. Les hommes haredim n’ont pas d’autre choix que de reconnaître que les choses sont en train de changer autour d’eux».

Accord en théorie, mais pas en pratique

Chevy Fleischman Weiss, un israélo-américain, stratège de campagne électorale qui n’est pas impliqué dans la campagne de Bezchutan, a déclaré que les candidates tentent de courtiser les femmes les plus libérales dans la société haredi. «En théorie, je pense que les objectifs de ces femmes sont admirables. Il y a un vrai besoin pour beaucoup des changements qu’ils visent», a déclaré Chevy Fleischmann Weiss, qui est haredi. Mais au lieu de former un parti politique, les candidates «devraient plutôt trouver des moyens pour travailler avec les rabbins et de chercher à obtenir des postes dirigeants au sein de la société haredi» pour promouvoir le changement.

Les haredim

En Israël, les laïques cohabitent avec les traditionalistes, qui sont pratiquants, et les orthodoxes, qui ont une pratique stricte de la religion juive, mais sont immergés dans la société. Ce qui n’est pas le cas des haredim, les ultra-orthodoxes, appelés aussi les «craignant Dieu». Ils sont divisés en plusieurs sous-groupes de tendance religieuse distincte. Leur mode de vie se caractérise par un refus de la modernité, une volonté forte de vivre en dehors de la société moderne. Ils vivent dans des quartiers spécifiques, où ils ont leurs propres écoles. Ils considèrent que la Torah doit être la source de toute législation.