«Il ne faut pas enfouir ses blessures, il faut les traiter et en faire sortir le poison»

«Il ne faut pas enfouir ses blessures, il faut les traiter et en faire sortir le poison»

Militant antiapartheid, le père Michael Lapsley a perdu ses mains et un œil lors de l’explosion d’une lettre piégée en 1990. Dans l’ouvrage autobiographique, qu’il présente actuellement en Suisse romande, il raconte le chemin de sa guérison intérieure. Il travaille aujourd’hui à casser les chaînes de blessures et éviter que les enfants des opprimés ne deviennent des oppresseurs.

Le père Michael Lapsley est de passage en Suisse pour une série de conférences où il présente son livre autobiographique «Guérir du passé», récemment traduit en français. Il était à Crêt-Bérard mercredi 18 février. Il sera à Fribourg et Grandchamp (NE) ce 19 février et à Genève le 20.

Prêtre anglican néozélandais, Michael Lapsley est envoyé en Afrique du Sud en 1973 comme aumônier des étudiants. Alors âgé de 24 ans, il arrive dans un pays ou l’apartheid, politique de ségrégation raciale, a des conséquences dans la vie quotidienne de chacun.

En 1976, la police tire à balles réelles contre des écoliers qui manifestent contre un décret imposant un large usage dans les écoles de noirs de l’afrikaans, perçu comme langue de l’oppresseur. Michael Lapsley dénonce alors le régime ce qui lui vaut d’être expulsé d’Afrique du Sud. Il se réfugie au Lesotho et, de là, parcourt le monde pour mobiliser les communautés religieuses contre l’apartheid.

Ce combat lui vaudra d’être victime, en 1990 d’un attentat à la lettre piégée. Une bombe cachée entre deux revues religieuses lui arrache les deux mains et lui fait perdre l’usage d’un œil. Il mène aujourd’hui un ministère auprès des victimes de violences.

Rencontre à Crêt-Bérard avant sa conférence de mercredi soir. Privé de mains, c’est avec une accolade qu’il accueille ceux qu’il rencontre, même pour la première fois. Très chaleureux, il pose des questions et s’intéresse à son interlocuteur lors de l’exercice généralement purement formel des présentations.

Michael Lapsley, en anglais, votre ouvrage est sous-titré «mon voyage de combattant de la paix à soignant». Est-ce qu’aujourd’hui vous avez atteint votre but ou êtes-vous toujours en parcours?

Michael Lapsley: Soigner est le cheminement d’une vie. Il y a toujours de nouvelles blessures. En particulier, je fais l’expérience de l’âge en sachant que certaines séquelles de l’attentat qui m’a touché peuvent se réveiller. Mais je sais que je ne suis certainement plus prisonnier de ce qui m’est arrivé, même si j’ai toujours du travail à faire sur moi-même.

L’une de mes citations préférées est d’Irénée: «La gloire de Dieu, c’est un humain pleinement vivant». C’est pourquoi je me réjouis tous les jours de contribuer au chemin de guérison d’autres humains.

Vous racontez comment vos positions ont changé en ce qui concerne la violence. De pacifiste convaincu, vous avez adhéré à l’ANC (Congrès national africain) de Nelson Mandela, qui avait opté pour la voie militaire contre l’apartheid. Quelles sont vos positions aujourd’hui?

L’usage de la violence devrait toujours être l’ultime recours. Je ne crois pas que l’homme soit fait pour tuer ou blesser. Cela a toujours des conséquences psychologiques et spirituelles importantes, tant chez les victimes que chez les bourreaux. Le coût de tout usage de la violence est immense.

Hier à Grenoble, une dame du public a dit que les plus grandes blessures de la France c’était la Deuxième Guerre et l’Algérie. C’est vrai qu’au travers de mon ministère, j’ai aussi découvert que certains actes de nations nous affectent tous individuellement. Ce qu’on fait nos parents nous affecte. Je crois que c’est parce que l’on a besoin de vivre en relations pour être pleinement humain qu’il existe ainsi des blessures collectives qui s’étendent sur plusieurs générations. Il faut soigner ces blessures pour empêcher les victimes d’hier de devenir les bourreaux de demain.

Dans le cas de la lutte contre l’Etat islamique, par exemple comprenez-vous le recours à la violence?

Je pense que cela peut être nécessaire, mais je suis surtout très inquiet. Je me demande si l’Etat islamique n’est pas déjà le produit de blessures infligées précédemment; dans ce cas, je pense en particulier à la guerre en Irak. Les blessures et injustices qui n’ont pas été soignées produisent des violences. Quelles grandes blessures peuvent amener à trouver l’Etat islamique attractif? Y compris en Europe de l’Ouest!

Pour moi, il y a urgence d’un travail interreligieux. Nous devons apprendre, non seulement à nous tolérer, mais aussi à nous respecter et nous comprendre entre communautés. Il ne faut pas oublier que la violence peut-être utilisée par les religions.

C’est le cœur de votre démarche. Prendre conscience de ses blessures et les traiter.

Oui, les blessures sont là, et que va-t-on faire avec. Mon expérience, c’est que les blessures physiques ne sont pas forcément les plus difficiles à traiter. On a tendance à vouloir enterrer ses vieilles blessures spirituelles ou psychologiques, mais ce sont de vraies blessures! Il faut les exposer pour les soigner. Il faut en sortir le pus, sinon cela peut empoisonner toute une vie.

Votre livre a été traduit dans cinq langues et plusieurs autres traductions sont en préparation. Est-ce que la réception en est différente d’une culture à l’autre ou est-ce qu’il touche à quelque chose d’universel?

En fait, je crois que chacun lit un texte différent. Mon livre agit comme un miroir. Bien sûr, la plupart de mes lecteurs ont toujours leurs mains, ils n’ont pas été victimes de lettres piégées. Mais chacun s’y reconnaît, car chacun de nous vit avec ses blessures et ses fêlures. Nous sommes tous tiraillés par les mêmes sentiments destructifs et les mêmes sentiments créateurs. Et nous sommes tous confrontés à l’expérience traumatisante qu’est la mort.

Depuis la sortie de la première édition de votre livre, en anglais en 2012, vous voyagez beaucoup. Est-ce que cela vous laisse du temps pour votre ministère de guérison?

Cela fait partie du job. Je travaille à offrir des espaces et des occasions où les gens peuvent prendre soin de leurs blessures. Durant une de mes conférences en France, une dame a parlé de ses parents collaborateurs durant la Deuxième Guerre devant tout le public. Le fait d’être dans ce lieu, elle s’est tout à coup sentie autorisée à le faire. Je pense que c’est un premier pas vers une guérison. De plus, mon livre a aussi suscité la création de groupe de paroles. Alors, faire connaître mon livre fait partie de mon ministère. Chaque personne qui le lit devient un peu membre de l’équipe.

Guérir du passé
Du combat pour la liberté au travail pour la paix
Michael Lapsley
Publié aux Editions de l’AtelierVidéo
L'histoire de Michael Lapsley