Sikh, athée ou chrétiens, des dessinateurs défient la haine religieuse et la censure  

Sikh, athée ou chrétiens, des dessinateurs défient la haine religieuse et la censure  

Du simple e-mail incendiaire à la menace de mort, quand l’humour touche aux religions, il déclenche souvent de vives réactions.

Par Brian Pellot, RNS/Protestiner

Dessin: ©Sikhtoons.com/RNS

«Détends-toi, c’est ce qu’on appelle un turban. A l’intérieur se trouvent mes cheveux longs jusqu’à la taille qui n’ont jamais été coupés. Maintenant, allons botter le cul de quelques intolérants.» C’est la légende dans la bulle au-dessus du dessin de Vishavjit Singh représentant un Captain America portant barbe et turban, sur son site Sikhtoons.com.

Vishavjit Singh, qui est sikh, est un ingénieur logiciel le jour, et s’imagine en superhéros la nuit. Il est aussi l’un des nombreux dessinateurs utilisant l’art pour lutter contre l’intolérance religieuse, la haine, les stéréotypes et les tentatives de censure en ligne.

Le dessinateur humoriste habite New York, et a lancé son site Sikhtoons après les attentats du 11 septembre. Selon ses dires, l’inspiration lui est venue de Mark Fiore, le célèbre caricaturiste politique, dont le travail s’attaque à la haine dirigée contre les musulmans et les sikhs après les attentats. «Au début, certains de mes cartoons étaient fondés sur ma propre expérience en tant qu’Américain barbu portant un turban et marchant dans les rues de New York, confronté à des gens lui criant “Oussama!”, “taliban!”, “rentre chez toi!”», déclare Vishavjit Singh; «je voulais aussi réagir aux crimes de haine contre les sikhs dans les journaux.» Singh s’est attelé à un «travail qui s’adresse et s’intéresse aux Américains qui ne savent pas qui je suis ou ce que les sikhs sont, en utilisant l’humour pour leur permettre de m’approcher.»

Imitant son personnage de fiction artistique, Vishavjit Singh s’habille parfois comme Captain America, et arpente les rues de New York pour engager la conversation avec des inconnus, dans le but de contester les stéréotypes et les idées fausses sur sa foi. Autrefois cantonné aux pages d’opinion de quelques journaux locaux, ses dessins satiriques atteignent désormais un public mondial en ligne, accumulant les retweets, les «j’aime» et aussi abondance de vitriol.

En 2005, le journal danois Jyllands-Posten a publié 12 caricatures représentant le prophète Mahomet, ce qui serait un acte blasphématoire selon de nombreuses interprétations de l’islam. Cela a suscité des manifestations d’indignation et de protestation de par le monde, lesquelles auraient contribué à plus de 100 décès signalés. En réponse à la controverse du Jyllands-Posten et les tentatives de censure qui l’ont suivie, le caricaturiste britannique et défenseur de la liberté d’expression Martin Rowson, qui se dit être un «journaliste visuel», a produit sa propre bande dessinée. Le dessin montre un homme barbu portant un turban, en train d’ouvrir un journal du Jyllands-Posten et disant «ça n’a rien à voir avec moi…. ».

Dessins: ©Martin Rowson/RNS

Martin Rowson qui est athée, est dessinateur professionnel depuis 32 ans. Les menaces de mort qu’il reçoit sont d’autant plus nombreuses que ses caricatures atteignent de monde en ligne. L’une d’entre elles, publiée en octobre, met en scène Jésus et Dieu le Père dans les nuages. Jésus, pointant en dessous, demande: «Papa! Qui sont ces vieillards qui portent des robes qui adorent des statues de moi qui me représentent pratiquement nu?». A quoi Dieu répond: «des homophobes». Dans le coin inférieur de la page, un troll vert pointe le lecteur, et ajoute: «la première personne qui envoie à Rowson des menaces de mort gagne deux ans!», une critique du projet du secrétaire d’Etat à la justice britannique visant à augmenter le temps de prison pour les «trolls internet» qui répandent du «venin» sur les réseaux sociaux.

Les caricatures de Martin Rowson sont régulièrement publiées dans le journal britannique The Guardian. «C’est un public énorme, mais tout le monde n’est pas habitué à l’industrie britannique de la caricature, qui est parmi les plus méchantes au monde», a déclaré le dessinateur. «J’ai reçu des milliers de courriels vraiment injurieux venant d’Amérique, et la même chose venant d’Israël. Je pense que j’ai probablement offensé tout le monde toutes catégories confondues.»

En 2007 Martin Rowson s’en est pris à ses concitoyens athées Richard Dawkins (biologiste théoricien de l’évolution) et Christopher Hitchens (journaliste «antithéiste» militant), épinglant Richard Dawkins comme chef de secte idéaliste, et Christopher Hitchens comme souffrant d’obésité morbide, tenant une pancarte sur laquelle on peut lire: «dehors et fier!!». Martin Rowson a expliqué que cette caricature était un commentaire sur une campagne publique soutenue par Richard Dawkins, encourageant les athées à «sortir du placard».

Le dessinateur catholique Jason Bach considère sa série de bandes dessinées catholiques comme une forme d’évangélisation. Il évite délibérément les sujets controversés comme l’avortement, la contraception, le mariage gay et les abus sexuels du clergé, mais son travail malicieux se heurte malgré tout à des retours de flammes on-line. Une bande dessinée, «Frank & Ben: Holy Rome-Mates», s’ouvre avec le pape François (Frank) qui demande au Pape Benoît (Ben) de s’éclipser de leur salon commun parce qu’il a «amené une dame à la maison». Ben répond: «d’accord, mais ne me laisse pas dehors toute la nuit comme la dernière fois». La dernière image montre le pape François qui prie intensément devant une statue de la Vierge Marie. Les commentaires des lecteurs incluent des éloges pour le travail du dessinateur, des attaques contre l’Eglise et des critiques accusant Jason Bach d’être désinvolte et irrévérencieux. «Les strips qui sont trop pieux ne sont tout simplement pas drôles», a déclaré le caricaturiste. «Faire quelque chose que les gens trouvent drôle contribue grandement à la lutte contre l’idée reçue que les catholiques sont indigestes, puritains et guindés.»

image: ©Jason Bach/RNS

Martin Rowson, dont les premières caricatures ont précédé le Web, fait remarquer que cette forme d’art fonctionne particulièrement bien sur les plates-formes des réseaux sociaux d’aujourd’hui, où l’immédiateté est prisée. Jason Bach et Vishavjit Singh sont d’accord avec lui. «Un dessin ne prendra que quelques secondes ou même juste une seconde pour faire valoir son point de vue. S’il est adapté, la connexion est instantanée», a déclaré Vishavjit Singh.

En février, le journal allemand Süddeutsche Zeitung a publié une caricature représentant le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg, qui a été élevé dans la tradition juive: une pieuvre affublée d’un nez crochu en train de dévorer le service de messagerie WhatsApp, que la société avait acquis. L’image, qui ressemblait à la propagande nazie antisémite, a été largement partagée et décriée sur les médias sociaux, poussant le journal à la changer.

Cette réaction des réseaux sociaux est pâle en comparaison de ce qui est arrivé Ali Farzat, le plus célèbre dessinateur de la Syrie. En 2011, des hommes armés masqués ont l’ont battu et lui ont cassé les mains, sans doute pour avoir critiqué le président Bachar al-Assad dans ses dessins. «La seule chose à laquelle le pouvoir ne peut pas faire face, c’est la raillerie», a déclaré Martin Rowson à propos de cette attaque. «Vous gagnez quand vous avez le dernier mot».