Un livre sur l’apostasie dans l’islam vaut à son auteur le surnom de «Salman Rushdie de Somalie»

Un livre sur l’apostasie dans l’islam vaut à son auteur le surnom de «Salman Rushdie de Somalie»

Dans «La règle de l’apostasie dans l’islam: est-ce vrai?» Abdisaid Abdi Ismail dénonce l’utilisation politique de l’apostasie par des groupes extrémistes qui qualifient ceux qui expriment des opinions dissidentes d’apostats qui doivent être mis à mort. Sa recherche lui vaut des menaces de mort.

Image: La couverture de «La règle de l’apostasie dans l’islam: est-ce vrai?», DR

, Nairobi, RNS/Protestinter

Un chercheur somalien provoque la colère des musulmans après avoir publié un livre qui remet en cause la peine de mort pour apostasie dans l’islam. Il est désormais considéré comme le «Salman Rushdie de Somalie», une référence à l’écrivain indo-britannique dont le livre «les versets sataniques» avait suscité des protestations à travers le monde musulman ainsi qu’une fatwa émise par l’ayatollah iranien Khomeini en 1989.

Le livre d’Abdisaid Abdi Ismail, «La règle de l’apostasie dans l’islam: est-ce vrai?» a été publié au Kenya en septembre. Avant de commencer à travailler sur son livre, l’auteur suivait de près l’affaire de Merian Yahya Ibrahim, cette femme soudanaise condamnée à mort pour s’être convertie au christianisme, avant d’être libérée. Son cas avait soulevé un véritable tollé dans le monde et avait attiré l’attention sur l’abus grandissant de la notion d’apostasie dans l’islam (Meriam Yahya Ibrahim affirmait avoir toujours été chrétienne). Le livre, écrit en Somali, a été lu dans des villes occidentales telles que Londres, Toronto et Minneapolis, où résident d’importantes communautés somaliennes.

Abdisaid Abdi Ismail a souligné que son livre s’inscrit dans la ligne grandissante de la voix de chercheurs musulmans, d’éminents intellectuels et dignitaires religieux dans le monde entier, qui rejettent de manière croissante l’abus de l’islam par des groupes extrémistes tels que l’État islamique, Boko Haram au Nigéria, ou Al Shebbab en Somalie. «Ce dont nous avons besoin, ce sont des Etats laïcs où règnent la démocratie, la justice et l’égalité pour tous, a-t-il dit, pas des états théocratiques où les dirigeants gouvernent au nom de Dieu.»

L’apostasie comme outil politique

La préoccupation d’Abdisaid Abdi Ismail réside dans le fait que les militants islamiques somaliens, les religieux ou d’autres groupes extrémistes dans les pays à majorité musulmane se servent de l’apostasie comme outil politique, qualifiant ceux qui expriment des opinions dissidentes d’apostats qui doivent être mis à mort. Il a observé qu’Al-Shebbab justifie la mort de ceux qui s’opposent à leur interprétation radicale du Coran en les accusant d’apostasie. Les fonctionnaires somaliens, les officiers de l’armée nationale, les responsables d’organisations non gouvernementales locales ou internationales sont considérés comme des espions de Satan qui méritent la mort, a-t-il ajouté. «Je voulais expliquer à mon peuple la véritable signification de l’apostasie dans l’islam», a expliqué l’auteur du livre.

Diplômé de l’Université Umm Al Qura en Arabie Saoudite, Abdisaid Abdi Ismail est âgé de 50 ans, et il a écrit quatre autres livres sur la mondialisation et l’économie. Mais il apparaît qu’il a touché une corde sensible avec son dernier livre. Il espérait avec celui-ci susciter un débat sur la liberté religieuse dans l’islam. Le livre aborde également d’autres questions, telles que l’égalité des sexes et la lapidation des personnes accusées d’adultère dans l’islam.

«L’apostasie est un crime dans l’islam», a déclaré le cheikh Abdallar Kheir, spécialiste religieux à l’Université Kenyatta de Nairobi: «l’apostasie est mentionnée dans le coran et dans les traditions du prophète. Elle s’apparente à la trahison. Il y a toutefois des conditions et des situations où cette règle s’applique: elle doit être appliquée par un Etat islamique, et précédée d’un dialogue et d’un raisonnement avant d’être appliquée, et elle est appliquée si la personne qui a changé de religion perturbe des musulmans ou la foi musulmane».

Menaces de mort

Depuis la parution du livre, Ismail a reçu des menaces de mort et des avertissements de ne pas retourner en Somalie, où sa femme et ses trois enfants vivent toujours. Il a également été qualifié de diable et d’infidèle sur les médias sociaux, où des religieux radicaux appellent à interdire et brûler son livre. C’est au Kenya qu’Abdisaid Abdi Ismail a dû aller pour publier son livre, car il n’a pas trouvé en Somalie un seul éditeur qui soit d’accord pour rentrer en matière. Il a été mis à la porte de plusieurs hôtels en Ouganda, à Nairobi et Kampala. «Tous les jours, j’ai peur que des partisans fanatiques des extrémistes somaliens, ici au Kenya, ou pire en Somalie, me fassent du mal. J’ai été prévenu qu’ils pourraient même tenter de me tuer».

Mais l’auteur est tenace, et il affirme que les menaces ne l’empêcheront pas d’exprimer son opinion sur des débats religieux cruciaux. Il considère cela comme un moyen de réformer la pensée islamique en Somalie, et de réhabiliter et reconstruire son pays ravagé par la guerre.

Vendu sous le manteau

Abdisaid Abdi Ismail reconnait toutefois que le sujet est controversé; il n’a commencé à faire des recherches et à écrire à ce sujet qu’après s’être rendu clairement compte que personne n’avait le courage de l’aborder. Son livre se vend sous le manteau au Kenya et en Somalie, après avoir été retiré des rayons des librairies à la suite des protestations de membres du clergé musulman. Il est disponible en langue somalie sur Amazon.