Garder l’espoir derrière les barreaux

Garder l’espoir derrière les barreaux

Les établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe hébergent des détenus de longue durée. Dans l’austérité de cet univers carcéral, pour ne pas désespérer, des prisonniers emploient leur temps à construire leur avenir. Témoignages recueillis en compagnie de Philippe Cosandey, l’aumônier protestant du pénitencier.

Photo: CC(by) Luis Argerich

, La Vie Protestante

«Je ne suis pas croyant, mais les aumôniers sont importants pour moi. Ce sont des gens qui viennent prendre de nos nouvelles, sans forcément parler de religion». Germain (prénom fictif) est un détenu privilégié. Depuis 2006, ce comptable de formation occupe la fonction de bibliothécaire de la prison. Attiré par le gain, il s’est embarqué dans une mauvaise affaire financière. Se sentant pris au piège, il a tué deux personnes: «J’ai fait une erreur, j’ai reconnu les faits et je paie, mais c’est derrière».

Excepté son pantalon rouge de détenu, rien ne distingue Germain d’un autre bibliothécaire. La quarantaine, discours posé, d’un calme peut-être un peu contrôlé, seul face à son petit bureau au milieu des allées de livres, il nous explique sa motivation: «Pour garder le moral, je m’occupe au maximum, il m’arrive de suivre des formations à distance en économie d’entreprise». Selon le Code pénal suisse, le travail est obligatoire pour les détenus et Germain bénéficie d’un poste de confiance. Sans chef surveillant, il est en relation avec de nombreux détenus et édite le journal interne de la prison, le mensuel «Mur Mur». Dans plusieurs années, Germain sera transféré en France afin d’y purger la suite de sa peine.

Tranquille, la vie de détenu? A Bochuz comme ailleurs, l’enfermement, c’est avant tout la promiscuité. Imaginez que vous retrouvez vos voisins dès le matin à 6h30 à la douche, puis au travail, aux repas, à la pause et enfin aux sports, avant d’être enfermé seul dans votre cellule à 20h15. Et encore, quels voisins! Les malades psychiques côtoient les autres détenus. «Dire qu’en prison il y a trop de confort relève de la discussion de bistrot» tranche l’aumônier, «c’est ne pas savoir de quoi on parle». D’autant plus que le climat carcéral s’est durci en Suisse romande depuis les récents scandales: l’affaire Skander Vogt d’abord, puis l’assassinat de Marie par Claude D. et la sortie accompagnée de Fabrice A., fatale à sa socio-thérapeute.

Un îlot de recueillement

Quittant la bibliothèque, après un dédale d’escaliers, de portes verrouillées et de couloirs aux murs vétustes, nous parvenons à la salle de culte. On y découvre un des rares éléments esthétiques de l’établissement : un tapis d’orient autour duquel sont disposées une douzaine de chaises. Elles furent ce dimanche occupées par autant de détenus. Une fréquentation exceptionnelle, sur la centaine de détenus autorisés à y participer. Chaque semaine, ils sont en général quatre ou cinq à se retrouver pour célébrer le Christ.

L’aumônerie, explique Philippe Cosandey, ne consiste pas uniquement à assumer les célébrations hebdomadaires mais aussi et surtout à visiter les détenus. L’aumônier est le seul intervenant professionnel en milieu carcéral dont le secret de fonction est entièrement garanti. La complète gratuité de la confidence n’évite pas la méfiance de certains prisonniers, qui craignent que l’aumônier ne trahisse un secret qu’ils lui auraient révélé.

«Je ne savais pas»

Dans un couloir, nous rencontrons Ibrahim (prénom fictif). Il fait partie des 35% de prisonniers musulmans des EPO. L’aumônerie œcuménique visite tous les détenus sans distinction de religion. Training, bonnet rasta lui couvrant quasi les yeux, sourire généreux, ce ressortissant du Moyen Orient n’a qu’une ambition, garder le moral en espérant terminer sa peine après 15 ans avec un CFC en poche. Motivé, Ibrahim a obtenu de l’établissement pénitentiaire une formation en agent de propreté: «Quand t’a une grosse peine, soit tu te laisses aller, soit tu te prends en main. J’ai choisi la seconde option, le chemin difficile: du sport chaque jour, tu manges des légumes, tu pries Dieu et tu passes ta peine tranquille. En prison, il faut apprendre quelque chose, c’est la catastrophe si tu sors vide». Ibrahim est reconnaissant envers le système carcéral, il en parle comme d’une mère formatrice.

Arrivé en Suisse il y a deux décennies, il obtient le droit d’asile, mais dix ans plus tard, c’est le drame familial: «J’ai tué ma femme», confie-t-il en baissant le ton, «maintenant je suis désolé mais c’est trop tard». Il donne alors cette explication hallucinante: «J’ai fait comme il faut faire dans ma culture, selon la tradition, mais maintenant je divorcerais, j’ai compris. Je connaissais pas le système suisse». Au Moyen Orient, dans quelques régions, il existe encore un écart entre la juridiction officielle, qui condamne le meurtre, et les coutumes appliquées localement.

Eviter l’effet congélateur

En fin de journée, à la cafétéria, nous rencontrons l’entraineur de sport de la prison, seul à rivaliser avec Germain au tennis: «Pour les détenus, le sport est une sacrée béquille. Bien souvent, c’est ça ou les médicaments». Des béquilles, les détenus en auront besoin avant et après leur libération. Anthony Brovarone, délégué en communication du Service pénitentiaire vaudois, explique que pour éviter l’«effet congélateur», la prison doit ressembler le plus possible au monde extérieur. Elle ne doit être ni inhumaine ni trop protectrice. Le Service pénitentiaire n’a pas pour seule mission d’assurer la sécurité de la société, mais aussi la réinsertion sociale des personnes détenues. Il s’agit d’éviter au maximum le risque de récidive. A cet effet, le Code pénal suisse prévoit un élargissement progressif du régime de détention: Avant leur libération, les détenus peuvent vivre un temps de liberté partielle en travaillant à l’extérieur.

L’aumônier des aumôniers

Au crépuscule, nous avons quitté l’enceinte sécurisée du pénitencier. Au magasin extérieur, où se vendent les objets de bois réalisés par les prisonniers, Bernard (prénom fictif), nous reçoit tout sourire décontracté. En fin de peine, sa bonne conduite lui octroie ce travail externe. A Champ-Dollon, se souvient-il, «j’avais deux visites d’aumônier par semaine, j’étais l’aumônier des aumôniers. Ici, je vois souvent des gens qui ont envie de me parler mais qui n’osent pas poser de questions». Avec humour, il ajoute: «Chaque soir, je retourne en prison alors que je pourrais me tirer. Je dois même sonner et attendre qu’ils m’ouvrent!». Il y a longtemps, fort longtemps, Bernard a tué et fait disparaître le corps de sa victime, mais tout comme les autres, il ne veut plus en parler, c’est du passé.