La femme de Pilate

La femme de Pilate

Dans les textes bibliques, il y a quelques figures qui n’ont qu’une existence bien éphémère. Elles n’apparaissent qu’à un endroit du récit, pour redisparaître aussitôt. Il en est ainsi également dans les récits de la Passion.

Image: «Le reve de la femme de Pilate». Alphonse Francois, env. 1879

, professeur de théologie

Dans Marc 14:51-52, au moment de l’arrestation de Jésus, on peut lire: «Un jeune homme le suivait, n’ayant qu’un drap sur le corps. On l’arrête, mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu.» Nous ne saurons jamais qui pouvait bien être ce jeune homme qui suivait Jésus, mais qui s’enfuit finalement comme tous les autres, mais tout nu!

J’aimerais m’intéresser à une autre de ces figures discrètes. Elle n’est mentionnée que dans l’évangile selon Matthieu, au moment où Pilate demande à la foule s’il faut libérer Jésus ou Barrabas. La procédure est subitement interrompue: «Pendant qu’il siégeait sur l’estrade, sa femme lui fit dire: "Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste! Car aujourd’hui j’ai été tourmentée en rêve à cause de lui.» (Matthieu 27:19). On ne sait pas si cette intervention de la femme de Pilate a eu un effet sur l’attitude de son mari. Dans un premier temps, en tout cas, il n’a pas l’air d’en tenir compte, puisqu’il reprend la procédure et cède finalement à la foule, en libérant Barrabas et en livrant Jésus pour qu’il soit crucifié. Mais en se lavant les mains, pour clamer son innocence, il pense peut-être au message de sa femme: «Je suis innocent de ce sang. C’est votre affaire!» (Matthieu 27:24) Sa femme ne voulait pas qu’il se mêle de l’affaire de Jésus, et il s’en défait maintenant en en faisant l’affaire de la foule: «C’est votre affaire, ce n’est plus la mienne!»

L’affaire de Jésus a l’air d’être dangereuse. Pilate s’en débarrasse vite fait bien fait. Il est responsable de veiller à l’ordre dans ce coin perdu de l’empire romain, en concertation plus ou moins houleuse avec les autorités juives. Mais voilà que surgit un homme qui ne respecte pas cet ordre, qui discute librement de tout et qui est prêt à transgresser les règles. Il brise les barrières sociales en vigueur: il ne considère pas les malades comme impurs, mais les touche; il se met à table avec les prostituées et les publicains, si bien qu’on l’accuse d’être «un glouton et un ivrogne» (Matthieu 11:19). Il n’a pas de domicile fixe, mais court les rues, entouré de gens de petite réputation. Et pourtant, il revendique l’autorité de nettoyer le temple, en en chassant les marchands.

L’agitation est grande, et Pilate redoute avant tout le désordre qui en résulte. Sa femme, elle, voit les choses autrement: elle a été tourmentée en rêve, elle a eu un cauchemar. La tradition chrétienne raconte que, plus tard, la femme de Pilate se serait convertie. On en a même fait une sainte, appelée Procula, Procla ou Abroqlâ, vénérée dans les Églises orthodoxes et coptes. Mais qu’importe? C’est l’avertissement de son cauchemar, en plein procès, qui doit nous rester en mémoire.

Elle demande: ne va-t-on pas injustement condamner un juste? Un «juste», c’est-à-dire un homme qui fait passer l’accueil, la rencontre, le contact, la justice, la reconnaissance réciproque, avant les règles et les exclusions de l’ordre établi. Un homme qui annonce un autre Dieu, un Dieu qui vient inscrire dans nos vies une dynamique d’amour.

N’est-ce pas déjà l’esprit de Pâques?