Gottfried Locher stigmatise la qualité des cultes

Gottfried Locher stigmatise la qualité des cultes

Le 1er janvier dernier, Gottfried Locher a pris ses fonctions à la tête du Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS). Cet ancien pasteur regrette que beaucoup de cultes soient de qualité moyenne, explique-t-il dans l'interview. Selon lui, de nombreuses prédications seraient rédigées à la dernière minute sans grandes compétences rhétoriques.


Interview réalisée par Matthias Herren, Christine Steffen, NZZ am Sonntag

NZZ am Sonntag : Vous êtes le nouveau président FEPS et à ce titre, à la tête des réformés suisses. Peut-on vous envier pour cette fonction ?

Gottfried Locher : S'il n'y a pas de leader chez les réformés au sens classique du terme, quelqu'un doit toutefois porter la voix des réformés dans la sphère publique. Concrètement, répondre de la foi protestante auprès des pouvoirs politiques et de la société est quelque chose qui me motive. (...)

NZZ : Chez les réformés, tout le monde est son propre pape. Comment comptez-vous amener les deux millions de protestants de Suisse à développer une identité commune ?

G. L. : Nous allons renforcer l’unité entre les différentes Eglises réformées cantonales en mettant en avant tout ce que nous avons en commun. Et deuxièmement : nous répondons officiellement de notre mission. Nous proclamons l’Evangile de Jésus-Christ, en paroles et en actes. L’Eglise doit s’exprimer plus clairement en tant qu’Eglise, contrairement à ce qu’elle a fait ces 50 dernières années. Son profil est devenu flou.

NZZ : Comment voulez-vous rendre son profil plus lisible ?

G. L. : Prenons le culte. Il ne doit pas être un produit d’Eglises parmi d’autres. Il est le lieu fort de la chrétienté. (…)

NZZ : Mais dans les faits, les cultes attirent de moins en moins de monde et surtout les personnes âgées.

G. L. : Cela doit nous préoccuper ! L’exode des jeunes est une bombe à retardement. Cela a un effet d'entraînement et la tentation de délaisser des cultes visiblement désuets est d’autant plus grande. Je suis sûr que c’est la mauvaise voie. Sans culte, le coeur de l’Eglise s’arrête de battre.

NZZ : Comment les cultes doivent-ils être conçus pour que davantage de personnes soient attirées ?

Une bonne prédication demande dix heures de travail. Mais cela ne suffit pas, il faut également avoir une bonne liturgie. Ni les prises de têtes intellectuelles, ni les propos enthousiasmants dépourvus de contenu ne me convainquent. Je conseille aussi de redécouvrir les trésors liturgiques de l’Eglise ancienne et de continuer à les développer.

G. L. : De manière à ce qu’ils nous captivent pendant une heure ! Malheureusement, dans beaucoup d’endroits, ils sont médiocres. Cela commence par les prédications, qui sont rédigées à la dernière minute, avec très peu de compétences rhétoriques. Une bonne prédication demande dix heures de travail.

Mais cela ne suffit pas, il faut également avoir une bonne liturgie. Ni les prises de têtes intellectuelles, ni les propos enthousiasmants dépourvus de contenu ne me convainquent. Je conseille de redécouvrir les trésors liturgiques de l’Eglise ancienne et de continuer à les développer.

NZZ : On ne promet pas un avenir très rose au protestantisme. Une étude prévoit que la proportion de réformés va passer d’ici 2050 de 33 à 20 % dans la population suisse. Comment y faites-vous face ?

G. L. : Par le fait, que je me préoccupe plus de notre crédibilité que de notre taille. Celui qui convainc peut aussi à nouveau grandir. (...)

NZZ : Cela ne vous effraie-t-il pas que de plus en plus de personnes quittent l’Eglise ?


G. L. : Je regrette ces départs. Mais le fait d’être plus petit ne me fait pas peur.
Dans le monde entier, presque toutes les Eglises réformées sont de petites communautés. Les réformés suisses sont une exception.

NZZ : Vous avez dit que vous souhaitiez également vous occuper de l’accompagnement spirituel de managers. Pour quelles raisons ?


G. L. : Etre chef peut vous amener à vous sentir seul. Le nombre de chefs, qui dépérissent spirituellement, me frappe. Ils ne sont pas les seuls à en souffrir. L’accompagnement spirituel du chef relève, même indirectement, de l’accompagnement spirituel de tous.

NZZ : Bientôt, vous aussi vous aurez une position de direction. Qui est votre accompagnateur ?

G. L. : Je ne le sais pas encore, mais j’ai besoin d’en avoir un. Je trouve un soutien spirituel auprès des moines d’Einsiedeln. C’est un endroit où j’aime toujours me retirer.

NZZ : Est-ce que cela va aussi, à nouveau apporter plus de dynamique à l’œcuménisme ?

G. L. : Je l’espère; car un christianisme sans unité visible est difficilement compréhensible. L’œcuménisme commence par des amitiés personnelles. J’essaye d’en prendre soin.

NZZ : Est-ce que vous arriveriez à vous imaginer que les réformés suisses puissent être impliqués dans certaines questions de l’Eglise catholique, comme par exemple le ministère de l’Evêque ?

G. L. : En ce qui concerne le ministère de l’Evêque : quasiment pas. En revanche, cet interview ne démontre-t-il pas que la tradition réformée a également des missions qui contiennent des tâches épiscopales ?

NZZ : Si l'on revient sur le vote anti-minarets et d'autres scrutins touchant aux étrangers, les Eglises ont été régulièrement minorisées. Comment faire pour convaincre la population de l'importance de valeurs comme la liberté religieuse et la tradition humanitaire ?

G. L. : Cela ne devrait pas nous étonner que les chrétiens doivent faire face à de la résistance. Une Eglise, qui aligne sa position sur celle des majorités, pourrait s'écarter de sa mission. Mais quand les directions des Eglises défendent sans cesse d'autres positions que celles de la population, elles devraient se demander si elles ont bien saisi les besoins et les peurs de la population.

NZZ : La peur de l’islam est-elle justifiée ?


G. L. : Ce qui se justifie est de prendre soin et de développer une culture du vivre ensemble. Un des piliers de notre culture est le christianisme. Nous devons soigner le dialogue avec l’Islam de manière honnête et critique. Entre nos religions, il existe des points communs et des divergences. Tant que points communs et divergences peuvent être exprimés, le dialogue reste le ferment de la paix religieuse.

BIO

Gottfried Locher, âgé de 44 ans, remplace, depuis le 1er janvier, Thomas Wipf, en tant que président du Conseil de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), qui regroupe 26 Eglises protestantes. M. Locher était conseiller synodal de l'Eglise réformée Berne-Jura-Soleure et a dirigé l’Institut d’études œcuméniques de l’Université de Fribourg. Précédemment, il était en charge de l’œcuménisme au sein de la FEPS et en dirigeait le département «relations extérieures». Il est le père de trois enfants.
(trad/B.B.)

  • Ce texte a été publié dans l'édition de la NZZ am Sonntag du 19 décembre. Il est reproduit et traduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur.