Les protestants sceptiques face aux demandes de pardon du Pape

Les protestants sceptiques face aux demandes de pardon du Pape

Le Pape Jean-Paul II a demandé pardon plus de nonante fois depuis le début de son pontificat
Côté protestant, on est moins enclin aux grandes cérémonies de repentir. Pourtant, la réflexion sur les fautes commises ne le cède en rien à l'Eglise catholique. Telle l'Eglise protestante allemande qui, au sortir de la guerre, a publiquement reconnu sa complicité avec le nazisme. En Suisse, les Eglises protestantes réexaminent leur attitude vis-à-vis des Juifs durant la Seconde guerre mondiale.C'était le 12 mars dernier en la Basilique St-Pierre de Rome. Jean-Paul II demandait pardon pour 2000 ans de fautes commises par les chrétiens, croisades, inquisition, guerres de religion, antisémitisme, racisme, esclavage. Durant cette cérémonie au retentissement universel, il a appelé les serviteurs de l'Eglise à imiter le Seigneur Jésus, doux et humble de coeur. Le souverain pontife a ainsi procédé depuis le début de son pontificat à pas moins de nonante demandes de pardon. Côté protestants, on observe une certaine réserve face à ces démonstrations de repentir, parfois teintée de scepticisme vis-à-vis de l'initiative papale : "Il me semble que le Pape présente les faits incriminés - antisémitisme, croisades, etc. - comme des incidents de parcours, des erreurs humaines dues à la méchanceté des gens, explique Pierre Gisel, professeur de théologie à l'Université de Lausanne et auteur de l'Encyclopédie du Protestantisme. C'est oublier que le religieux comporte intrinsèquement un risque de dérives totalitaires. Cela appelle une explication en profondeur que ces demandes de pardon globale n'apportent pas".

§Deux visions du pardonSur le fond, depuis la Réforme, la question du pardon constitue un point de divergence théologique important entre catholiques et protestants. Pour les premiers, le fidèle doit reconnaître sa culpabilité. L'Eglise lui accorde sa rémission et lui recommande un certain nombre d'actes - pèlerinage, abstinence, prières - qui lui permettent de réparer la faute commise. Pour les seconds, le péché fait partie intégrante de la condition humaine. L'être humain est esclave de son péché et ne peut rien accomplir pour mériter la grâce de Dieu. Dans cette perspective, la demande de pardon n'est pas nécessairement un bien. Elle peut au contraire nourrir et conforter l'illusion d'une perfection qui serait à la portée de l'homme. D'autre part, les protestants pensent que l'Eglise est faillible alors que les catholiques y attribuent une notion de sainteté qui rend le pardon nécessaire lorsque des fautes ont été commises. "Sur une telle base, poursuit Pierre Gisel, le protestantisme - mais le judaïsme aussi probablement - ne peut qu'être dubitatif face à la demande de pardon mise en scène à Rome".

§Déjà repentiMais un autre facteur explique pourquoi les protestants semblent avares de pardon en cette année de Jubilé. Ils ont déjà effectué des pas importants dans l'aveu des fautes historiques et la mise à jour de leur mémoire. A commencer par la "déclaration de culpabilité de Stuttgart" de 1945 par laquelle les nouveaux responsables du protestantisme allemand reconnaissaient leur responsabilité dans la tragédie du nazisme. L'exemple fit école dans notre pays où en juin 1945, le Président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) soulignait combien les Eglises protestantes avaient manqué à leur tâche et omis de dénoncer l'horreur de l'antisémistisme. Cette autocritique eut deux conséquences directes: la fondation en 1946 de l'œuvre d'entraide EPER, Entraide protestante suisse aux Eglises et aux réfugiés, et, d'autre part, l'amorce d'un dialogue avec la communauté juive qui se poursuit aujourd'hui encore et a profondément nourri la réflexion sur les manquements vis-à-vis du peuple juif.

Ainsi, l'Eglise réformée zurichoise admettait en mars 1997 avoir eu une attitude anti-juive. La même année, le Conseil de l'Eglise réformée du canton d'Argovie déclarait: « En tant qu'autorité ecclésiale, c'est avec honte et regret que nous constatons qu'à cette époque - entre 1933 et 1948 – nous n'avons jamais pris position de façon claire contre la persécution des juifs par le national-socialisme allemand. Par ce comportement, le Conseil synodal de l'époque est devenu le complice passif du maintien de l'antisémitisme dans notre pays et des manquements de la politique des réfugiés pratiquée par les autorités ».

Quant au Conseil synodal de l'Eglise de Schaffhouse, il déclarait dans une prise de position datant également de 1997 : « Par notre silence et en nous abstenant d'une aide plus active, nous nous sommes rendus complices des crimes commis contre les juifs, les roms et les autres persécutés politiques ».

Ce travail de mémoire accompli par les Eglises protestantes de Suisse a d'ailleurs été salué en mai 1997 par Rolf Bloch, Président de la Fédération suisse des communautés israélites: "Combattez l'antijudaïsme et l'antisémitisme partout où vous pouvez. Dans ce combat, nous sommes des alliés naturels".

§VisibilitéLocales et peu médiatisées, ces multiples déclarations ne sont pourtant pas entrées dans la conscience collective. Le même oubli a frappé un texte important signée le 23 janvier dernier par les communautés catholique, protestante, évangélique, pentecôtiste, anglicane, luthérienne, méthodiste et copte des cantons de Vaud et de Genève, où elles s'engageaient à surmonter leurs divisions et reconnaissaient avoir "gravement péché contre l'amour de Dieu par nos égarements, nos faiblesses, nos infidélités et nos étroitesses". Mais en cette année de Jubilé 2000, l'examen de la mémoire et le pardon semblent appartenir exclusivement à L'Eglise catholique par le biais des cérémonies orchestrées par le Vatican et retransmises par les médias du monde entier. Et le théologien protestant Pierre Bühler de déplorer que le catholicisme tende toujours davantage à incarner l'ensemble du christianisme: " Du point de vue des médias, on a l'impression que le christianisme se résume au catholicisme voulu par Rome. Quel Jubilé vivons-nous? Celui de 2000 ans de catholicisme, ou de 2000 ans de christianisme?".